Ma volonté est que mes dessins,mes estampes, mes bibelots, mes livres enfin les choses d'art qui ont fait le bonheur de ma vie, n'aient pas la froide tombe d'un musée, et le regard béte du passant indifférent, et je demande qu'elles soient toutes éparpillées sous les coups de marteaux du commissaire priseur et que la jouissance que m'a procurée l'acquisition de chacune d'elles, soit redonnée, pour chacune d'elles, à un héritier de mes goûts. EDMOND DE GONCOURT

Edmond et Jules

Edmond et Jules

Edmond de Goncourt par Nadar

Edmond de Goncourt par Nadar

samedi 16 octobre 2010

Revue Illustrée du 15 avril 1888

Revue Illustrée du 15 avril 1888 N° 57

Edmond de Goncourt par GUSTAVE GEFFROY

Portrait de Guth
Gravé par Boileau


L a biographie d'un écrivain est surtout l'histoire des idées qu'il a eues et des livres qu'il a écrits. La remarque n'est pas d'aujourd'hui, ni même d'hier. Le lecteur qui sait lire à travers une oeuvre n'a pas besoin d'avoir à sa disposition un bien gros dossier supplémentaire pour renseigner sur la personne intime de celui qui a regardé les hommes et rêvé devant les choses. En ce qui concerne les Goncourt, l'observation est d'une absolue justesse. Si l'on veut savoir, d'une façon précise, quelle était la manière d'être de leur double individu, et quel décor d'existence matérielle a servi de fond au travail des collaborateurs artistes, on pourra, dans l'avenir , feuilleter les cahiers bourrés de documents et solliciter les souvenirs des contemporains. Mais si l'on veut connaître le plus intéressant, c'est-à-dire ce qui a été vu, ce qui a été aimé et détesté, ce qui a été pensé, quarante volumes sont là qui, ouverts, feuilletés, lus et relus, répondront à toutes les questions qui peuvent être faites à ces pages imprimées, d'une confidence si intime et d'une éloquence si hautaine.
S'il y a eu des sincères en littérature, c'est bien ce Jules de Goncourt, qui est parti, c'est bien Edmond de Goncourt, qui est resté. On chercherait en vain dans les pages tressaillantes qu'ils ont écrites une parole qui sonne le faux de l'hypocrisie, un mot qui soit l'indice d'une prudence. Ils ont eu, sans effort, tout naturellement, le goût de la bravoure intellectuelle, l'amour instinctif du vrai. L'attitude de leur caractère et la qualité de leur esprit se sont trouvées d'accord avec leur profession de littérateurs. Il n'était pas pour eux dans la vie de situation qui pût davantage favoriser l'avidité de curiosité et le besoin de tout dire qu'ils apportaient dans leur course d'observateurs à travers l'histoire, la société et la nature.
Aussi, ils ne cachent rien de ce qu'ils découvrent chez les autres, et ils révèlent tout sur eux-mêmes. Historiens, créant une nouvelle histoire avec tout ce qu'on laissé après eux les morts, le meuble, la défroque, le papier usé de l'autographe, le portrait pâli, ils sont comme les incapables commissaires-priseurs institués par la Postérité: ils relèguent au second plan leurs préférences, ils imposent silence à leurs regrets, et tout en montrant des sympathies et des compassions, ils font sonner, comme des coups de marteaux irrémédiables, les phrases de leurs conclusions, au-dessus des artistes et des financiers, des princes et des favorites. Romanciers, ils se représentent encore en représentant, dans d’inoubliables figures vivantes, les formes diverses que peut prendre la nervosité d'une époque; sans cesse ils vont au plus expressif, au plus aigu; leur analyse médicale s'insinue sous la guimpe de Soeur Philomène, pénètre dans l'âme mystique de Madame Gervaisais, incise et fouille dans tout le morbide de la littérature et de l'art, en Coriolis et en Demailly, anatomise le cerveau mercantile de Manette et la névrose bourgeoise de Renée Mauperin, devient l'instrument de la première étude peuple, de la vraie et pitoyable observation de l’hystérie, dans le beau livre initial qui raconte Germinie Lacerteux. Preneurs de notes, ils inscrivent comme les graphiques de leur intelligence dans les admirables Idées et Sensations qui aurait suffit à constituer une littérature nouvelle; là,plus encore que partout ailleurs, ils pensent tout haut, et leur rêverie, qui peut commencer pendant une promenade de collectionneurs et se complaire au charme d'un objet familier, peut aussi s’arrêter devant un visage, circuler devant une foule, s'envoler haut avec des cris tristes et ironiques, dans une région pessimiste où une gaieté cruelle alterne avec une mélancolie désabusée.
C'est à propos d'Edmond de Goncourt et d'un nouveau portrait de lui, que ces hâtives réflexions, où l'on trouvera peut-être une ressemblance morale approchante, ont été écrites. les noms des deux frères n'avaient pas à être séparés. Le survivant a-t-il fait autre chose que de continuer, seul, l'oeuvre entreprise à deux? L’enquête sociale, commencée avec Germinie, n'a-t-elle pas été poussée jusqu'au bout avec Élisa? Le détraquement artistique n'atteint-il pas son paroxysme avec la Faustin? L'accident survenu à l'un des Zenganno n'est-il pas hélas! l'équivalent symbolique de la maladie de Demailly? L'enfance de Chérie n'était-elle pas comme inscrite au programme d'études des romanciers de Renée Mauperin?
Oui, Edmond de Goncourt a su achever l'oeuvre commune. IL a su l'achever dans le même esprit, avec la même honnêteté littéraire, le même refus de concessions, qui marquent l'oeuvre tout entière. Il publiait hier ce Journal qui raconte deux nobles artistes désintéressés et vingt ans de littérature au jour le jour. il continuera demain, avec Germinie Lacerteux, la bataille théâtrale commencée avec Henriette Maréchal.



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