Ma volonté est que mes dessins,mes estampes, mes bibelots, mes livres enfin les choses d'art qui ont fait le bonheur de ma vie, n'aient pas la froide tombe d'un musée, et le regard béte du passant indifférent, et je demande qu'elles soient toutes éparpillées sous les coups de marteaux du commissaire priseur et que la jouissance que m'a procurée l'acquisition de chacune d'elles, soit redonnée, pour chacune d'elles, à un héritier de mes goûts. EDMOND DE GONCOURT

Edmond et Jules

Edmond et Jules

Edmond de Goncourt par Nadar

Edmond de Goncourt par Nadar

dimanche 15 mars 2009

Pélagie

Deux femmes des Goncourt : la servante du " Grenier " et sa fille Blanche-Denise

 

Blanche-Denise, qui vient de mourir dans son village des Vosges. Blanche ? fille de Pélagie. Pélagie? La servante du " Grenier ". Il est parlé d'elle, pour la première fois, dans le Journal en 1870, à la page la plus poignante rédigée par Edmond, seul des deux frères :

Nuit de samedi (18 juin) à dimanche.

Il est 2 heures du matin. Me voici relevé et remplaçant Pélagie près du lit de mon pauvre et cher frère, qui n'a pas repris la parole...

...Le profil de Pélagie, penché sur un livre de prières...

C'est Pélagie qui le dit : "IL faut manger pour avoir des forces demain."

Et le 28, au retour de l'enterrement, le grand  veuf retrouvera, au milieu des lettres et des cartes de la première heure, les livres de prières de Pélagie.

Désormais, Pélagie représentera la femme au foyer. Les habitués du "Grenier" ne l'ont connue que vieillissante, vers 1890. En 1870, elle devait être vigoureuse !

23 septembre. - Pélagie, qui se vante de n'avoir jamais eu peur, déclare que cela lui semble la guerre pour rire. 

Et la guerre, la commune, Pélagie à Auteuil, pendant que Monsieur, les nerfs ébranlés, se réfugiera dans un hôtel de la rue de l'Arcade, où, le 24 mai 1871, elle lui apportera des "Gloire de Dijon", de ses rosiers, admirée et aidée des soldats, au milieu de la fusillade.

Elle gardait la maison, où tombaient les obus, couchant habillée, à la cave, avec l'argenterie prête à être emportée...

Pélagie ! qui avait mis Jules au linceul, maintenant devait trembler pour Edmond.

Samedi 25 novembre 1876. -Ce matin j'ai eu  un étourdissement, et si Pélagie ne m'avait pas pris à bras-le-corps et collé contre le mur, je serais tombé à terre.

Mais voici Pélagie malade.

18 décembre 1877. - Cette bronchite qui me calfeutre des semaines dans mon intérieur désolé, avec Pélagie au lit, d'un rhumatisme articulaire ; je comptais sur elle, pour me fermer les yeux. Est-ce que la pauvre fille la dernière des personnes qui me soient sérieusement attachées, est-ce que je vais la perdre, et rester seul, tout seul ?... Ce sont des journées toutes noires quand je demande à sa fille des nouvelles de la nuit ...

C'est la première fois qu'il est question de Blanche, qui va soulager bien peu sa mère, une pauvre fille chétive, quelque peu innocente.

Le 1er janvier se lève, comme dans un hôpital.

Au 8 mai 1880, ce sera " la petite " qui apporte la dépêche "Flaubert est mort." 

Voici les deux femmes à l'honneur, à l'Odéon, pour Henriette Maréchal. L'auteur a souper chez les Daudet :

2 mars 1885.- En entrant à 4 heures, Pélagie, qui se relève, me confirme le succès, disant qu’elle et sa fille ont craint que les troisièmes galeries, toutes remplies d’étudiants ne leur tombassent sur la tête, dans le délire des trépignements.

Maintenant, la maison s’anime des dimanches au Grenier. Mais, la semaine, le solitaire s’assombrit du spectacle de la maladie de la « fille de Pélagie », l’immobilisant sur une chaise, dans un affaissement d’idiote.

Nous reverrons Pélagie à l’Odéon : Le quartier est sens dessus dessous.

14 janvier.- tout le monde à Auteuil trouve notre pièce pas une chose propre…

N’importe. Pélagie est toujours sous les armes.

 

19 mars.- Je rentre, je trouve mes deux femmes dans l’émotion d’un assassinat commis la veille dans la ville …

-         La petite va se coucher…

-         Entendez-vous des pas …

-         C’est vrai. Donnez-moi la canne épée ; et ouvrez …

Pélagie entrebâille.

-         N’ayez pas peur, madame.

C’était trois agents de la Sûreté, qui, intrigués par les promenades de lumière dans la maison, avaient cru à une intrusion de voleurs.

Pélagie qui, appelle Monsieur, pour lui montrer « la chatte en contemplation devant une poterie japonaise ».

Pélagie qui, pour ne pas déranger Monsieur – à une jeune Roumaine pleurant de pouvoir revenir, et lui demandant quelque chose venant de M. de Goncourt, lui donne un crayon avec lequel elle tient son livre de cuisine …

      Blanche, la fille de Pélagie, la petite, la triste et maladive fillette, ne paraît que peu à l’index général de son nom : quand M. de Goncourt va la voir, à l’hôpital ; quand elle pleure pour suivre un cours d’infirmière, quand ( témoin à mon mariage ) il rentre après le dîner, et que Blanche lui crie : «  Le feu est à la maison … » Un feu de cheminée, qui a alerté tout le quartier, maintenant réduit.

      Médiocres incidents de cette existence de célibataire et de ses fidèles servantes au cœur simple .

      Sans doute, ce calme service n’eût pas convenu à nombre d’autres, comme on lit vers la fin du Journal :

      4 février 1894 .- La petite bonne qui a remplacé blanche un moment, disait : « Je vais chercher une place chez une cocotte. On y travaille peu, mange bien et on a la chance d’être emmenée au spectacle, aux bains de mer… » 

      en 1896, Pélagie et Blanche n’ont pu fermer les yeux du maître, décédé à Champrosay … Elles l’ont conduit au cimetière… Pélagie est partie ensuite, et dans ses Vosges natales, la dolente fillette vient de mourir, à plus de soixante ans , tout de même, sans avoir jamais été interviewée.

      Pélagie ! Blanche ! les pauvres !   qui n’ont pas eu la médaille des vieux serviteurs, mais que voilà perpétuées à l’ordre du jour du Journal.

      Blanche ! Pélagie, qu’auraient-elles pu dire, qui ont tenu le ménage de vieux garçon, servi leur monsieur seul, comme elles auraient servi un autre maître.

 

 

   Jean AJALBERT

De l’Académie Goncourt

Provenance l’article « Toute l’Ed » du 05 02 1938

 

 

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